La gouvernance globale sous l’emprise des entreprises !

La gouvernance globale sous l’emprise des entreprises !

L’accord de partenariat entre le Forum économique mondial (FEM) et l’ONU est une menace dangereuse pour le système onusien

Lettre ouverte à M António Guterres, Secrétaire général des Nations Unies
Pour les associations et organisations, signez la lettre => ici

Nous, soussignés, vous demandons de mettre fin à l’accord de partenariat stratégique récemment signé entre l’Organisation des Nations Unies et le Forum économique mondial (FEM).

Nous craignons fort que cet accord de partenariat entre le FEM et l’ONU ne délégitime les Nations Unies et n’accorde aux sociétés transnationales un accès préférentiel et déférent au système des Nations Unies. Le système de l’ONU est déjà sous la menace du gouvernement des Etats-Unis d’Amérique et de ceux qui remettent en question un monde multilatéral démocratique. Cependant, cette privatisation de l’ONU représente une menace à long terme beaucoup plus profonde, car elle réduira le soutien public au système des Nations Unies dans le Sud et dans le Nord.

Nous sommes fermement convaincus que cet accord est fondamentalement contraire à la Charte des Nations Unies et aux décisions intergouvernementales sur le développement durable, l’urgence climatique et l’élimination de la pauvreté et de la faim.  Ce partenariat public-privé associera en permanence l’ONU aux sociétés transnationales, dont certaines des activités essentielles ont provoqué ou aggravé les crises sociales et environnementales auxquelles la planète est confrontée. C’est une forme d’emprise des entreprise (corporate capture). Nous savons bien que l’agrobusiness détruit la biodiversité et les systèmes alimentaires durables et justes, que les sociétés pétrolières et gazières mettent en danger le climat mondial, que les grandes sociétés pharmaceutiques affaiblissent l’accès aux médicaments essentiels, que les sociétés extractives causent des dommages durables aux écosystèmes et aux populations, et que les fabricants d’armes profitent des guerres locales et régionales ainsi que de la répression des mouvements sociaux. Tous ces secteurs sont des acteurs importants au sein du Forum économique mondial.

Les dispositions du partenariat stratégique prévoient en effet que les dirigeants d’entreprises deviendront des « conseillers en coulisses » auprès des chefs des départements du système des Nations Unies, utilisant leur accès privé pour préconiser des « solutions » – rentables et adaptées au marché – à des problèmes mondiaux, tout en sapant des solutions réelles ancrées dans l’intérêt public et des procédures démocratiques transparentes. L’accord du FEM avec l’ONU et toutes les autres formes de d’emprise des entreprises portent gravement atteinte au mandat de l’ONU ainsi qu’à l’indépendance, à l’impartialité et à l’efficacité de cet organisme multilatéral, notamment en ce qui concerne la protection et la promotion des droits humains. Par exemple, dans les discussions actuelles relatives à un Traité visant à réglementer les activités commerciales, l’emprise des entreprises sur l’ONU – ou l’ingérence indue des entreprises sur l’ONU – affaiblit et compromet sa capacité en tant qu’organe multilatéral de gouvernement à demander des comptes aux entreprises. De même, les entreprises font de plus en plus peser des menaces financières sur les gouvernements et l’ONU lorsque les mandats portent sur la responsabilité des entreprises ; le mandat du HCDH concernant la base de données de l’ONU sur les affaires commerciales dans et avec les colonies israéliennes en est un exemple.

L’acceptation par l’ONU de cet accord de partenariat rapproche le monde vers les aspirations du FEM pour que le multi-partenariat (multistakeholderism) remplace véritablement le multilatéralisme. Dans son ‘Initiative Global Redesign’ (Global Redesign Initiative) de 2010, le FEM a fait valoir que la première étape vers sa vision de la gouvernance mondiale consiste à « redéfinir le système international comme constituant un système de coopération mondiale plus large et multiforme dans lequel les cadres juridiques et les institutions intergouvernementales sont intégrés comme un élément central, mais pas le seul et parfois pas le plus important ». L’objectif était d’affaiblir le rôle des États dans la prise de décision mondiale et d’élever le rôle d’un nouvel ensemble de « parties prenantes », transformant notre système multilatéral en un système multipartite dans lequel les entreprises font partie des mécanismes de gouvernance. Les sociétés transnationales, certains représentants de la société civile, les États et d’autres acteurs non-étatiques se réuniraient pour prendre des décisions à l’échelle mondiale, rejetant ou ignorant les préoccupations critiques concernant les conflits d’intérêts, la responsabilité et la démocratie.

Nous appelons plutôt au renforcement de la souveraineté des peuples, à l’approfondissement du multilatéralisme démocratique et à la lutte contre l’expansion du multi-partenariat. Les organisations de la société civile d’intérêt public et les mouvements sociaux ont joué un rôle crucial dans la défense des droits humains et des accords environnementaux ainsi que dans l’élaboration de positions intergouvernementales sur un large éventail de crises mondiales au cours des 75 dernières années. Pour renforcer l’appui public au système des Nations Unies au cours des 75 prochaines années, nous pensons que votre bureau ainsi que les bureaux exécutifs des institutions spécialisées devraient organiser des consultations publiques sur le rôle institutionnel futur et le mécanisme d’engagement avec les communautés et organisations populaires les plus touchées, notamment les femmes, les travailleurs/travailleuses, les paysan.ne.s, les pêcheurs/pêcheuses, les peuples autochtones, les personnes LGBTQ, les défenseurs/défenseuses des droits humains, les éducateurs/éducatrices, les jeunes et les universitaires.  Ces communautés sont titulaires des droits humains et sont déterminées à préserver le bien-être commun des personnes et de l’environnement ; nous appelons à construire un système de gouvernance internationale plus fort, indépendant et démocratique, qui doit être traité différemment que les certaines « parties prenantes » qui n’ont qu’un intérêt financier en jeu.

L’ONU devrait adopter des mécanismes efficaces permettant de prévenir les conflits d’intérêts de manière cohérente dans l’ensemble du système. Toute politique à cet égard devrait garder à l’esprit les différents rôles de l’intérêt privé, d’un côté, et des détenteurs de droits qui s’occupent des biens communs et avantages communs, de l’autre. Les intérêts privés dont les activités sont en conflit avec les buts et objectifs de l’ONU ne devraient pas être associés aux organes intergouvernementaux ou au Secrétariat, dont l’objectif devrait toujours être de protéger les biens communs et de fournir des avantages publics mondiaux.

Monsieur le Secrétaire général, choisir de construire une alliance entre le Secrétariat et les sociétés transnationales pour sauver le système des Nations Unies tant de ceux qui sont hostiles au multilatéralisme que de la diminution du financement public, ne sauvera pas le système des Nations Unies, il le détruira.

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